13 Un ordre pour solliciter ?
13.1 Quelles qualités à quels moments ?
Un des présupposés de l'entraînement est que les qualités physiques se soutiennent. Par exemple, les qualités aérobies constitueraient une base pour le travail anaérobie ; la force maximale servirait de creuset à la puissance élastique. Partant de constat, il suffirait de connaître les qualités de base pour progressivement construire l'édifice de l'entraînement. En bas, les qualités donc le travail de fond, au-dessus, un travail moins général sur lequel s'appuie un autre type de sollicitation. et ainsi de suite jusqu'au sommet de l'édifice : la compétition.
Cette vision pyramidale à l'avantage de donner un ordre établi qu'il s'agit d'appliquer.
Concernant l'énergétique, l'ordre le plus communément utilisé progresse de la quantité vers l'intensité du travail. Nous donnons cet ordre, accompagné des justifications physiologiques les plus souvent avancées.
1
la base aérobie (couleurs vert et jaune) : Par l'intermédiaire de footings lents à rapides, la vascularisation musculaire devient plus importante, le débit cardiaque augmente par une importante progression du volume d'éjection systolique. Le sang circule mieux et baigne plus facilement les muscles. L'oxygène qu'il contient est donc plus facilement redistribué aux muscles. Par ailleurs, le taux des composés sanguins favorisant le transport d'oxygène s'élève. L'objectif de la base aérobie est finalement d'augmenter la capacité de transport du sang en oxygène.
2
La VO2max (couleur orange) : Le travail de puissance aérobie par intervalles permet un accroissement de la consommation d'oxygène au niveau cellulaire. Des réorganisations structurales et enzymatiques facilitent l'apport d'énergie d'origine aérobie. Pour un même effort, l'acidité est produite de manière moins importante et enlevée plus facilement.
3
L'anaérobie : la course à des intensités supérieures à la VMA aboutit à une formation importante d'acidité. Cette acidité a la mauvaise idée de bloquer progressivement les liaisons neuromusculaires rendant la contraction musculaire de plus en plus difficile. D'où l'importance de disposer de moyens pour enlever le surplus d'acidité. Si le travail anaérobie vient après le travail aérobie, c'est que l'oxygène amené par la filière aérobie est un puissant moyen d'enlèvement de cette acidité. Par ailleurs, le temps nécessaire au développement des qualités aérobies est plus important que celui que requiert l'amélioration des qualités anaérobies.
Concernant les qualités de force et d'élasticité, l'ordre le plus utilisé pour leur développement passe par un travail de type : 1
statique, 2
concentrique, 3
excentrique, 4
pliométrique, 5
stato-dynamique.
Ces ordonnancements ne sont pas unanimement reconnus. Ainsi, la troisième étape du développement énergétique, cherchant à solliciter l'anaérobie, est surtout valable pour les courses dont la composante "sans oxygène" est importante. L'objectif de cette phase étant de solliciter les allures de courses, pour toutes les courses situées au-delà de 3000m, elle s'apparente à du travail aérobie.
Par ailleurs, indépendamment de l'épreuve préparée, certains entraîneurs ne conçoivent pas un plan d'entraînement qui ne chercherait pas à développer la VO2max en premier lieu.
D'autres entraîneurs pensent qu'aucun point de vue pré-établi ne peut se tenir. Comment respecter la spécificité de l'athlète si nous postulons un ordre plutôt qu'un autre ? A la place des systèmes prévus par avance, nous proposons un bricolage d'un autre ordre.
13.2 Artisans de l'entraînement
Nous savons où nous allons et d'où nous partons. Nous connaissons les principes qui indiquent les directions à prendre, pourtant, nous ne savons pas par où commencer ! Quelles qualités développer en premier ?
Nous ne savons pas quel chemin prendre mais nous disposons d'indices. Souvenons-nous ! Trois principes qui donnent lieu à trois continuums :
de l'aspécifique au spécifique
du développement des qualités à leur intégration aux conditions de la compétition
de la remédiation des faiblesses au renforcement des points forts
Le tout pouvant être rassemblé dans un tableau.
|
|
|
|
|
|
spécificité |
|
Assure l'efficacité la plus poussée dans un environnement donné |
le travail des points forts facilite l'adaptation rapide et puissante |
Confère l'efficacité maximale par la prise en compte des conditions de pratique |
Assure le développement maximal des qualités sollicitées |
|
Empêche l'adaptation à d'autres environnements |
La sollicitation des points faibles fragilise l'athlète et demande un temps d'adaptation plus long et plus incertain |
Peut empêcher l'adaptation ultérieure => stagnation
Peut amener des fluctuations des performances |
Nuit aux qualités "oubliées" |
|
|
Assure l'adaptabilité c'est à dire la capacité :
- à survivre dans un environnement contraignant voire hostile
- donne les chances de complémentarité |
Permet d'améliorer les points faibles sans nuire aux points forts
Aide à supporter psychologiquement la charge de travail |
Permet de :
- supporter un entraînement difficile
- récupérer plus facilement
- toujours continuer à progresser |
Permet la réorganisation des qualités entre elles
Demande de prendre garde aux principes de complémentarité et de contradiction |
|
Ne permet pas la meilleure efficacité dans un environnement inchangé et connu |
Ne permet pas d'atteindre au développement maximal d'un point fort |
Ne permet pas l'intégration complète des qualités / l'épreuve |
Ne permet pas d'atteindre le développement maximal |
progressivité |
|
Donne le temps de l'adaptation fine et sans aléas
Permet de se garder d'une extinction massive |
Considérant l'impact global de l'entraînement, assure la possibilité d'adaptation sans prise de risque Empêche de se "griller les ailes" |
Réduit les fluctuations de performance |
Passage des qualités de base, longues à développer, aux conditions de la pratique = permet la pyramide des qualités |
|
Ne permet pas "l'explosion" de vie liée à la nouveauté |
Peut frustrer par la lenteur de la progression |
Limite la possibilité de progression rapide et spectaculaire |
Limite les chances "d'auto organisation" |
Tableau des avantages, inconvénients et conditions de la prise en compte des trois principes d'entraînement
Compte tenu de toutes les contradictions, de toutes les contraintes qu'il conviendrait d'appliquer, l'entraînement idéal est impossible. L'objectif est donc de le rendre le moins mauvais possible.
La plus grosse difficulté consiste à faire la part de la discipline et de l'athlète. Le plus souvent c'est la discipline qui prime (voir ci-dessus l'ordre de développement des qualités) l'athlète passant au rang de faire valoir. Nous proposons un procédé qui prenne en compte l'un comme l'autre.
Partant de ce constat, à nous de trouver l'adéquation la plus réussie. A nous de tenter d'intégrer au mieux tous les principes, de gérer au mieux les antagonismes, les anachronismes, les complémentarités.
C'est ce que nous avons tenté de faire dans un modèle des priorités de l'entraînement qui pourrait être chronologiquement :
1
solliciter brièvement (quelques séances) les points forts selon une charge faible
2
rapidement en venir à solliciter les points faibles en maintenant le niveau de difficulté
3
augmenter progressivement le niveau de difficulté dans la sollicitation des points faibles
4
maintenir le niveau de sollicitation et revenir rapidement sur les points forts (transition brusque du travail effectué en gardant la progressivité de l'impact global de l'entraînement)
5
comme il y a beaucoup de chances pour que les points forts s'approchent des conditions de compétition, augmenter la sollicitation en la rendant plus spécifique au niveau des qualités sollicitées et plus diversifiée au niveau du travail utilisé (faire preuve d'imagination pour construire dans les séances - pour cela utiliser les considérations tactiques c'est souvent très amusant -, jouer sur les critères de durée et de répétition des exercices.). Profiter des périodes de repos relatif pour diversifier les qualités sollicitées.
6
lorsque arrivent les compétitions, diminuer la charge de travail et jouer sur la diversité des qualités sollicitées. Alterner le travail et le repos, les qualités spécifiques et celles qui leurs sont complémentaires et ce à deux niveaux : entre les séances et entre les exercices au sein de chaque séance.
Attention, la démarche qui précède est un pari, une possibilité parmi d'autres. Elle se veut une proposition. Elle n'est ni définitive ni absolue, la meilleure preuve étant qu'elle supporte déjà deux exceptions.
13.3 Deux exceptions
A
L'anaérobie longue et moyenne
Pourquoi ? Parce que physiologiquement, ces secteurs de travail sont un prolongement direct de l'anaérobie courte. Pour simplifier, disons que l'anaérobie longue, c'est de l'anaérobie courte plus de l'acidité. Présente en quantité, cette dernière induit une régression des qualités aérobies. Alors autant préparer la filière anaérobie à réagir, en travaillant son versant court, sans pour autant la solliciter de manière accentuée. Ceci d'autant plus que la distance de course s'allonge (>3000m).
Autres raisons : l'incidence de l'entraînement sur la filière anaérobie reste "incertain". Et puis, le plus souvent, cette filière demande peu de temps pour être développée dans son versant acide.
Voilà pourquoi nous préférons solliciter l'anaérobie acide sans jamais chercher à le développer avant la période précédant la compétition en demi-fond court.
B
La technique concernant la phase 1 de sollicitation brève des points forts
Si un coureur a un ou des gros défauts techniques et qu'il sort d'une phase de repos, il peut être opportun de tenter de faire évoluer de suite ces faiblesses. En effet, la période d'inactivité rend le corps plus apte au changement. Quand on sait la difficulté qu'il peut y avoir à modifier un point technique, la plus grande plasticité de l'organisme peut être une aide précieuse.
13.4 Exemple
En pratique, les conseils que nous venons de donner supposent de reprendre les deux feuilles que nous avons remplies ("l'athlète" et "la discipline") de manière à pouvoir repérer rapidement les points forts (couleurs sombres) et faibles (couleurs claires) de l'athlète ainsi que les qualités proches (couleurs sombres) et éloignées (couleurs claires) des conditions de la compétition.
Si nous appliquons cette démarche à un coureur disposant des qualités répertoriées dans le tableau ci-dessous et souhaitant préparer l'épreuve du 800m (second tableau). La démarche pourrait être :
|
|
écotechnique
(type de coureur)
|
|
|
psychologie
(Catégorie d'être)
|
VMA (orange) |
Courte 60m |
Jambe libre |
Elastique (pliométrique) |
Se placer au départ |
Responsabilité |
Footing rapide (seuil - jaune) |
Moyenne 300m |
Pose du pied |
Elastique en durée |
Se protéger en course |
Sincérité
Sérénité |
Indice d'endurance : courir longtemps aux différentes allures |
Longue 500m |
Résistance à l'écrasement en position haute |
Isométrique |
Rester prêt à démarrer |
Ouverture |
Variations d'allures |
Variations d'allures |
Placement buste |
Concentrique |
Finir vite |
Motivation pour progresser |
|
|
Placement et oscillations bras, tête |
Excentrique |
|
|
|
|
Fréquence - Amplitude |
|
|
|
Qualités de l'athlète (exemple de tableau complété). Les points forts correspondent aux couleurs sombres (en bleu, qualités non évaluées)
|
|
écotechnique
(type de coureur)
|
|
|
VMA (orange) |
Courte 60m |
Jambe libre |
Elastique |
Se placer au départ |
Footing rapide (seuil - jaune) |
Moyenne 300m |
Pose du pied |
Elastique en durée |
Se protéger en course |
Index d'endurance : courir longtemps à toutes les allures |
Longue 500m |
Résistance à l'écrasement en position haute |
Isométrique |
Rester prêt à démarrer |
Variations d'allures |
Variations d'allures |
Placement buste |
Concentrique |
Finir vite |
. |
. |
Placement et oscillations bras, tête |
Excentrique |
. |
Qualités requises pour la discipline (exemple du 800m ) plus les cellules sont sombres plus la qualité est importante
1
travail technique prépondérant + variations d'allures autour de la VMA + anaérobie courte avec quelques multi-bonds
2
travail technique avec conditions favorisant le transfert dans la pratique du footing rapide + variations autour du footing rapide (zone jaune) terminé par vitesse courte + force isométrique à concentrique
3
Passage à la zone orange avec technique intégrée + variations courtes en anaérobie + force concentrique à excentrique
4
Prise en étau de l'allure course avec d'un côté progression de l'intensité en zone orange (VMA) et de l'autre augmentation des distances des variations d'allures anaérobie pour passer à anaérobie moyenne + force pliométrique - travail de côtes
5
anaérobie longue en intégrant quelques changements de rythmes grâce au travail tactique avec complément grâce : - aux variations d'allures footing rapide et VMA très courte (zone jaune) - aux variations en anaérobie courte. - au footing moyen avec travail technique léger Force en stato pliométrique - travail de côtes
6
compétitions + entraînement très diversifié comprenant notamment des séances pouvant jouer sur trois ou quatre allures (allure légèrement supérieure à compétition, vitesse courte, VMA et footing rapide)
Un point clé de ce programme est que plus un type de travail est dur et spécifique, plus nous accordons à l'organisme de possibilités de pouvoir s'adapter. Cela signifie, plus de récupération, plus de travail compensateur , plus de diversité du travail effectué et plus d'autres qualités sollicitées.
Nous en avons presque terminé de ce chapitre sur la programmation de l'entraînement. Il nous reste cependant à voir un point qui, au quotidien, peut causer de nombreux cheveux blancs à l'entraîneur. Comment traduire ce que nous avons vu en séances ? Comment s'assurer qu'une séance répond bien à l'objectif que l'on s'est fixé ? Problème ardu qui demande, pour être résolu, de bien définir les charges d'entraînement