physiologie - la perception de l'effort - psychologie de la PE  
   

 

2 Psychologie de la perception de l'effort

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent , l'appréciation subjective de l'effort est déterminée par une somme de considérations d'ordres biologiques. Pourtant, c'est un sujet dans sa globalité, point de rencontre de déterminations biologiques mais aussi historiques, psychologiques, sociologiques qui porte une appréciation sur sa personne. Comment ne pas supposer que ces déterminants que nous engloberons sous le terme de "psychologique" jouent un rôle dans la perception de l'effort (PE) ?

2.1 Profils psychologiques et perception de l'effort

Au secteur psychologie nous déterminons quatre catégories d'êtres. Ces classes permettent de distinguer les personnes selon leur rapport à eux-mêmes, à autrui, à l'avenir ou à l'action. Parmi la somme des déterminants permettant de classer les personnes, concentrons-nous sur la sincérité.

Etre sincère, c'est accepter de dire ce que nous ressentons indépendamment des influences extérieures (regard d'autrui) et des stratégies de défenses internes. C'est surpasser l'égoïsme qui peut nous pousser à :
limiter le ressenti vécu comme une faiblesse
surexposer ce ressenti afin de susciter la compassion.

Si nous nous reportons aux catégories psychologiques, nous pouvons supposer que :
les personnes de catégories 1 et 3 sont susceptibles de déclarer une PE relatant fidèlement l'effort. En effet, ces personnes se connaissent assez bien et sont souvent sincères. Toutefois, certaines personnes de la catégorie 3 peuvent se retrouver dans le cas de figure suivant.
les personnes de catégorie 4 peuvent être amenées à surdimensionner leur ressenti. Elles ont un rapport au monde qui est avant tout dirigé par la crainte et l'anxiété, autant d'attitudes qui sont connues pour provoquer une surestimation de la douleur.
les personnes de catégorie 2 auront, pour leur part, certainement tendance à amoindrir leur ressenti. Pour elles compte avant tout l'image qu'elles donnent de leur personne. Montrer sa force, doubler un adversaire - qui plus est sans respirer fort - montrer qu'on domine la situation et l'adversaire, voilà ce qui prime.

Bien évidemment, nous donnons là des tendances. Elles s'appuient sur les observations selon lesquelles, des traits de caractère comme l'introversion-extraversion, l'anxiété ou la dépression, modifient la PE (Morgan 1973).

Ainsi, selon leur profil psychologique, certains sportifs peuvent avoir tendance à exagérer ou diminuer l'effort déclaré. Ces stratagèmes peuvent avoir plusieurs origines. Quand ils sont dictés par l'image, parfois inconscience, que le sportif veut faire transparaître aux autres, ils sont nommés des logiques de présentation de soi (self-présentation theory) (Baumeister, 1982).

2.2 PE et valeurs sociales

Nous existons à travers le regard que les autres portent sur nous. Or, ce regard n'est pas neutre. Il catégorise, prend la forme d'un jugement, d'une sentence qui dit le bien et le mal, l'acceptable et l'intolérable.

Ce jugement exerce une pression qui tend à conformer la personne aux conventions et aux valeurs de la société. Ce sont, en effet, ces valeurs qui déterminent le caractère positif ou négatif du regard posé par autrui sur nous. La personne se conforme à ces valeurs et elle est acceptée, elle y déroge et elle est rejetée. Tel est, grossièrement, le mécanisme que nous avons intégré en grandissant.

Ce fonctionnement a une incidence sur la PE.
Que ferions-nous si nos valeurs sociales nous poussaient à paraître fort, dominant, toujours grand en tout ? Nous serions enclins à diminuer la douleur que nous témoignons.
Que ferions-nous si nos valeurs sociales nous poussaient à ne pas exprimer nos sentiments ? Là encore, nous aurions tendance à ne pas déclarer la douleur que nous ressentons. Dans les deux cas, il en résulterait une PE plus faible que celle correspondant à la douleur réellement ressentie.

Et bien, nous autres coureurs vivons dans cette société qui banni le ressenti et la douleur au profit de la force et du courage. Nous partageons des présupposés selon lesquels il est préférable d'être grand dans la souffrance. Ces préjugés, nous les avons bien intégrés. Résultat : les coureurs de distance ont pour habitude d'amoindrir l'effort déclaré.
Les valeurs des personnes pratiquant les sports d'endurance vont plutôt dans le sens d'une intériorisation de la souffrance : "nous endurons mais nous ne nous plaignons pas". Cette tendance est principalement, mais pas exclusivement, le fait des dispositions sociologiques dont nous parlons (des adaptations biologiques comme les secrétions d'opioïdes pendant l'effort jouent également un rôle en augmentant la tolérance à la douleur).

Pourtant, pendant l'effort, la douleur peut se montrer tellement vive que le sportif se trouve coincé.

Montrer la douleur quand elle ne peut être dite
D'un côté ces valeurs qui imposent de ne pas "succomber", de toujours "lutter", cette voie qui répète que l'être humain trouve sa grandeur dans la souffrance ; de l'autre côté une douleur qui devient de plus en plus intolérable.
Cet antagonisme entre une douleur qui est vécue comme insupportable et des valeurs qui disent de l'endurer sans se plaindre peut aboutir à des manouvres très subtiles destinées à montrer la douleur. Concrètement, l'athlète peut se mettre à souffler exagérément, à se désunir d'une façon exagérée, à accentuer une mimique du visage, un balancement du corps. ceci à seule fin de montrer la fatigue. La difficulté n'est pas dite directement mais suggérée par un certain nombre de comportements. Elle n'est pas affrontée mais détournée.
Cette stratégie de présentation de la douleur par le corps légitime et rend possible la parole qui dit vraiment la douleur. "Je peux te dire que j'ai souffert ; tu sais que je ne mens pas, d'ailleurs, tu as pu t'en rendre compte par toi-même".

De manière générale, toutes les stratégies de présentation de soi, tous les recours aux rôles ont une incidence sur la PE. Si nous reprenons l'exemple d'un coureur qui a appris à ne pas dire sa souffrance, nous savons qu'il aura tendance, dans des conditions qui ne sont pas extrêmes, à systématiquement réduire ce qu'il ressent vraiment. Pour lui, tout va toujours bien !
L'entraîneur (ou plus difficile, le coureur lui-même) a intérêt à repérer ces attitudes. Il apprendra que, pour tel athlète, un effort évalué à 14/20 vaut 19/20 pour tel autre. Dans l'exemple précédent, il saura qu'une seule remarque du type : "ça va pas bien" peut signifier "je suis au plus bas ".

L'important reste de toujours raisonner par rapport à une personne et pas par rapport à l'échelle de PE elle-même. Le niveau de PE n'est pas valide pour la comparaison des sportifs. En revanche, son évolution pour une même personne est une excellente indication de l'effort réellement fourni (Gillach et al, 1989).

L'important revient à repérer le lien existant entre les différents types de travail effectués à l'entraînement et l'effort ressenti par l'athlète. C'est ce lien qui va permettre à l'entraîneur de :
donner à l'avance l'impact que devra avoir la séance.
repérer un décalage entre l'impact prévu et celui ressenti par l'athlète. Ce décalage peut provenir d'un éventuel problème d'adaptation qui, s'il se répète, doit être pris en compte pour la suite de l'entraînement. Nous reviendrons sur ce point dans le dernier chapitre.

Nous voyons donc que la PE peut être influencée par le "profil psychologique" des sportifs. Au-delà de ces différences de personnes, dans certaines circonstances, nous sommes tous enclins à modifier notre PE.

2.3 PE et moments de course

A l'approche du maximum
Nous avons vu que, au cours de l'exercice progressif, la PE pouvait marquer un certain tassement quand elle arrivait à ses niveaux supérieurs. A proximité des valeurs maximales de PE, il se crée un effet plafond (Borg, 1982), une tendance à déclarer une PE moindre que l'effort réellement ressenti. Tout se passe alors comme si les écarts de PE déclarés à des intensités élevées représentaient une fatigue proportionnellement plus importante que celle ressentie pour les mêmes différences de PE à des intensités moindres. Le sportif surestimerait sa fatigue initiale ou sous-estimerait la douleur maximale qu'il est capable d'endurer. Il serait prit entre deux obligations :
maintenir une cohérence par rapport à l'effort déclaré antérieurement
ne pas crever le plafond supérieur de l'échelle des perceptions.
Ce deuxième impératif expliquerait le penchant des personnes à limiter l'effort déclaré par rapport à celui effectivement ressenti.
Pour l'entraîneur il s'agit de prendre en compte le fait que, le plus souvent, un accroissement de perception faisant passer de 17 à 18/20 ne vaut pas celui amenant de 1 à 2 points.

Un deuxième comportement est lié à cette volonté de faire correspondre l'échelle des perceptions à l'effort effectué.

La prévision de l'effort à réaliser
Les scientifiques ont remarqué qu'un même effort est déclaré d'autant plus facile qu'il est inclus dans une séance difficile. Le même coureur qui courrait un premier 400m en 1'12" alors qu'il doit en faire un total de 5 déclarerait cet effort plus ardu que s'il devait en faire un total de 10.
L'échelle des PE n'est pas "absolue". Les sportifs ont tendance à adapter leurs PE en fonction de la difficulté pressentie de manière à ne pas se retrouver trop rapidement à des niveaux élevés. Cette stratégie est établie (Rejeski et Ribisl 1980, Parfitt et Eston, 1995) et est liée à la perception préalable de la difficulté de la tâche à réaliser.

En nous préparant à un effort difficile, nous supportons mieux la douleur lorsque le moment est venu. Est-ce à dire que nous avons tout intérêt à imaginer la souffrance à venir pour mieux nous aider à la supporter ?
Tout n'est pas aussi simple.
Nous disons dans le chapitre consacré à la psychologie que notre rapport au monde est organisé autour de la recherche du plaisir et de l'évitement de la douleur. De ces deux attitudes, la seconde est certainement la plus prégnante chez la plupart d'entre nous. Ajoutons à ce constat notre exceptionnelle faculté à nous projeter dans l'avenir et nous arrivons à ce fait : nous imaginons le malheur et la douleur futurs en espérant pouvoir faire ce qu'il faut pour réussir à nous en dégager.
Mais voilà, le problème est qu'en imaginant la douleur nous la vivons. Nous ramenons la souffrance future à un mal être présent. Les conséquences sur l'équilibre psychologique et biologique sont désastreuses ; les effets sur la performance également. Le meilleur moyen de se retrouver à l'agonie dans une course est de s'imaginer, avant la course, en train de vivre cette agonie.
En faisant le lien avec la PE, nous trouvons que si l'anticipation de la douleur liée à l'exercice à venir nous conduit à des PE plus faibles, c'est tout simplement parce que nous avons tendance à grossir le mal à venir. Résultat, lorsqu'il se présente à nous nous le trouvons presque anodin. Le problème est que ce que nous avons vécu par anticipation n'était pas forcément anodin.
Si nous voulons imaginer la douleur, nous gagnerons à venir équipé de techniques qui vont nous permettre de rétablir notre capacité d'action donc notre bien-être.
Habituellement ces méthodes de gestion du stress ou de la douleur sont destinées à retrouver le calme de l'esprit et du corps. Mais, ce que vit l'athlète qui court, c'est aussi un stress, c'est aussi une douleur. Dès lors, nous sommes en droit de nous demander si ces techniques ne sont pas en mesure d'influencer la PE et son corollaire, la douleur ressentie.

Voyons s'il existe des dispositions d'esprit qui faciliteraient la résistance à l'effort et qui pourraient influer sur la capacité de performance du sportif.