physiologie - la perception de l'effort - stratégies mentales  
   

 

3 Des stratégies mentales pour se dépasser

Présentation

A quoi pensons nous pendant que nous courons ? Question vaste et difficile. Certains pensent à leurs problèmes du quotidien, d'autres à leurs rêves. Certains sont à l'écoute des facteurs de l'environnement - un gazouillis d'oiseau, une senteur de printemps.-, d'autres sont submergés par le plaisir ou la douleur qui émane de leur propre corps.

Les psychologues ont élaboré un cadre théorique permettant de classer ces phénomènes de pensée. Le formalisme proposé par Nideffer (1976,1981) à propos de l'attention et de son maintien est particulièrement adapté à cette fin.

Pour Nideffer, l'attention peut se placer selon deux continuums : l'étendue (large à étroite) et la direction (interne à externe).
Une attention large prend en compte plusieurs phénomènes en même temps alors que l'attention étroite est focalisée sur une ou deux informations seulement. Une attention externe est dirigée vers un événement ou vers un objet extérieur alors que l'attention interne est centrée sur les pensées et les sensations du corps.
Le continuum interne-externe est également appelé associatif-dissociatif. Ou le sportif associe les sensations qu'il perçoit avec l'effort qu'il réalise, ou il dissocie ces deux paramètres en se concentrant sur des aspects extérieurs qui font office de distractions.

Essayons de voir comment ces attitudes évoluent avec l'effort consenti et quelles implications elles peuvent avoir sur la performance.

3.1 Où notre esprit vague ?

Par expérience, nous avons pu classer les quatre grands types de rapports entre l'effort ressenti et l'attention adoptée. Les catégories 2 et 3 de ce classement sont le fruit de notre vécu alors que la 1ère et la 4ème ont été établies scientifiquement.
1lorsque les intensités d'effort sont faibles, nous avons tendance à être distraits par les facteurs environnementaux. Notre attention est large et extérieure.
2Quand la vitesse augmente sans que la fatigue engendrée soit importante, notre attention se porte sur diverses sensations corporelles. Nous sentons le plaisir associé à une pose de pied puissante, à une foulée ample, à une vitesse de défilement élevée.. Notre attention devient interne et large.
3Quand l'effort commence à devenir pénible, nous avons à l'esprit l'objectif à réaliser. Nous essayons de supporter la douleur en nous fixant sur la performance que l'on espère accomplir.
4Alors que la douleur devient très intense, notre attention tend à se focaliser sur notre corps. A ce moment, nous ne voyons plus que la douleur et la difficulté que nous avons à y faire face. Les pensées deviennent négatives, elles portent sur cette douleur intenable associée à l'évidence de la mauvaise performance qui l'accompagne. Notre attention est interne et étroite.

Des modifications de l'attention accompagnent donc l'effort fourni. Mais est-ce qu'elles ont une influence sur la performance réalisée ?

3.2 Se centrer ou se distraire ?

En 1989, Silva et Applebaum ont étudié les stratégies mentales de marathoniens d'élite. Ils ont repéré que ceux qui ont le plus de succès utilisent, durant la course, une combinaison de stratégies associatives (attention portée aux fonctions corporelles comme la tension musculaire, le rythme respiratoire.) et de stratégies dissociatives (distractions externes).
En revanche, les marathoniens qui réalisent moins de bonnes performances portent presque exclusivement leur attention sur l'extérieur. Ces attitudes leur permettraient de combattre l'ennui et la fatigue liés à l'effort. Le problème est que, ce faisant, ils ne prennent plus garde aux informations provenant de leur corps et pouvant les avertir d'éventuelles adaptations à apporter à leur course.

Ainsi, le niveau de performance est associé à la capacité des sportifs à prendre en compte un certain nombre d'informations susceptibles d'être utilisées . Un marathonien qui ne prendrait pas garde à son corps ne vaudrait guère mieux qu'un footballeur qui jouerait sans prendre en compte ses partenaires. La première recommandation pour optimiser la performance est donc de ne jamais occulter complètement les sensations corporelles.

Ce conseil est intéressant mais il ne nous dit pas comment faire quand notre esprit est complètement accaparé par la douleur en provenance du corps.

Nous connaissons peu d'études ayant abordé ce point spécifique. Cependant, nous disposons de connaissances qui peuvent être mises en ouvre à chaque fois qu'une douleur est vécue.

3.3 Se centrer pour s'améliorer

Des pensées antiques aux images médicales établies par résonance magnétique, toutes les observations disent la même chose de la douleur. De la méditation orientale à la psychologie occidentale, toutes les techniques de gestion de la douleur, du stress et de l'anxiété utilisent un même procédé pour dépasser le mal être. Ce procédé, c'est la concentration ou plus exactement l'attention portée sur un objet, une image, une valeur, bref toute représentation ou tout objet indépendant de la douleur.
Lorsque nous centrons notre esprit sur un objet extérieur, la douleur que nous ressentons est bien moindre que lorsque nous nous focalisons sur elle.

Ce constat clinique se retrouve dans la pratique de la course à pied. En 1980, un chercheur a eu l'idée de réduire le champ visuel de coureurs au strict nécessaire pour assurer leur progression. Il a pu ainsi constater que cette réduction de la vision qui obligeait les athlètes à se centrer sur la piste, s'accompagnait d'une diminution de la fatigue ressentie (Stones, 1980). La même année, deux autres scientifiques ont montré que des coureurs de cross-country réalisaient de meilleurs chronos en focalisant leur attention sur des causes extérieures comme le terrain qu'en s'attardant sur des causes internes comme leur ventilation (Pennebaker et Lightner, 1980). Bien que ces résultats soient encore contestés, ils collent parfaitement avec les observations faites dans la plupart des expériences de gestion de la douleur.
La diminution de la souffrance ne passe pas nécessairement par la vision. Par exemple, la musique permet également de réduire la douleur ressentie (Boutcher et Trenske 1990, Steptoe et Cox 1988).
En fait, qu'il s'agisse d'une image que l'on se représente, d'un objet que l'on fixe, d'un projet que l'on tend à réaliser, d'une musique que l'on écoute ou que l'on fredonne, ce qui compte avant tout c'est de faire appel à une sensation agréable.

3.4 Se centrer oui, mais sur le positif

La technique de réduction de la douleur par centration de l'esprit sur un aspect extérieur marche d'autant mieux que la représentation ou l'objet sont investis de valeurs positives, rattachés à une histoire heureuse ou à un vécu agréable.
Nous abordons ce type d'attitude dans le secteur psychologie.
Concrètement, il s'agit pour le coureur de remplacer la douleur et le monologue négatif par des pensées positives centrées plutôt sur le présent. Par exemple, il pourra utiliser des expressions du type : "garde ton regard rivé sur la ligne d'arrivée", "je suis capable d'augmenter la fréquence de mes foulées", "je reste fluide". Selon le postulat posant que la perception de la douleur influence la réaction de l'organisme, cet état d'esprit peut favoriser le dépassement de soi et aider à soutenir l'effort lorsque le corps est éreinté.

La question que nous posions, en début de chapitre, était : peut-on influencer les sensations à l'effort et la performance réalisée uniquement en changeant d'état d'esprit ? Les données recueillies nous poussent à répondre par l'affirmative. S'il en est ainsi, c'est que notre conscience peut choisir de donner ou non de l'importance aux influx nerveux en provenance des régions douloureuses. Habituellement, la douleur envahie complètement notre conscience jusqu'à devenir exclusive. En nous concentrant sur autre chose, nous combattons cet envahissement. Nous disons à notre organisme que le point de concentration est plus important que le signal de douleur. C'est ce mécanisme qui est à l'ouvre dans les phénomènes de "force surhumaine" et à chaque fois qu'une souffrance extrême est surmontée. Dans ces cas, le point de fixation est tellement fort, le projet à accomplir tellement majeur (situations ou la vie d'une personne est en jeu) qu'ils font complètement oublier la douleur.

Pourtant, nous devons mettre un bémol à ce constat optimiste ; un bémol qui tient aux places respectives du biologique et du psychologique dans l'intégration de la douleur.

4 PE : psychologie ou biologie ?

Nous avons vu que la douleur ressentie et exprimée est déterminée par des considérations d'ordres psychologiques et biologiques. Nous nous demandons, à présent, si nous pouvons faire la part des deux influences.

La réponse a cette incertitude passe par un raisonnement analogue à celui que nous avons mené à propos des facteurs biologiques centraux ou locaux.
La PE est déterminée par une somme de facteurs physiologiques, mais aussi psychologiques et sociologiques (Watt et Grove 1993, Boutcher et al 1988, Morgan 1973). Tous ces facteurs interagissent en continu. Selon le moment, l'effort fourni, l'état dans lequel l'athlète se trouve, selon son histoire. un facteur peut prendre plus d'importance que les autres. N'avez vous jamais constaté combien la fatigue est moins lourde à porter quand la foule amassée sur les bords de la route vous encourage ? Vous avez là un exemple très clair de la dynamique dont nous parlons. A ce moment, sous l'effet des encouragements, les facteurs sociaux prennent le dessus diminuant la place que nous accordons à la douleur biologique (Hardy et al 1986). Peut être que 500m plus loin, les influences biologiques redeviendront les plus prégnantes. Peut être que 500m plus loin, les mouvements de la foule auront réveillé le souffle psychologique qui nous pousse à atteindre notre objectif !

En dépit des fluctuations inévitables attenantes à ce modèle, une tendance générale peut être repérée. Avec l'augmentation de l'intensité de l'exercice, il semblerait que les variables physiologiques deviennent prépondérantes (Parfitt et Eston, 1995). Les chercheurs suggèrent qu'à un niveau faible de fatigue, les personnes réduisent l'importance des causes physiologiques dans la PE. Mais quand l'intensité augmente et que les causes physiologiques deviennent plus vives, elles ne peuvent les ignorer. Cette hypothèse semble confirmée par les valeurs de PE très proches entre toutes les personnes aux intensités élevées (Morgan 1973, Parfitt et Eston 1995).

Voilà où se trouve le bémol suggéré au chapitre précédent. Plus la douleur est vive plus l'influence positive apportée par l'état d'esprit est difficile à mettre en ouvre. Fort heureusement, le biologique fait toujours valoir ses droits. N'oublions pas que c'est ainsi qu'il nous protège.


Une synthèse

Si nous faisons la synthèse de ce que nous avons vu jusqu'à présent, nous arrivons au constat que facteurs biologiques et psychologiques interagissent pour aboutir à une PE qui, pour une personne donnée, relate fidèlement l'effort consenti.
Dans une certaine mesure, le sportif peut diminuer la souffrance inhérente à un effort violent et par-là même espérer une amélioration de ses performances.

Toutefois, tous les sportifs n'utilisent pas ces stratégies mentales. Tous n'ont pas le même rapport à la vie et à la douleur. Ces différences interpersonnelles rendent caduques toute tentative de comparaison des PE entre sportifs.
Ainsi, pour un même impact physiologique, un sportif pourra déclarer une PE bien moindre qu'un autre. Ce qui est intéressant, c'est que cet écart se maintiendra indépendamment de l'exercice ou de la période d'entraînement. C'est cette cohérence qui permet à l'entraîneur d'utiliser la PE pour évaluer l'effort. Mais permet-elle également de produire un niveau d'effort ?