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5.4.1. L'EAU ET SES ADDITIFS | ![]() |
À L'ÉTAT LIQUIDE
Projetée sous la forme d'un jet bâton sur un foyer, l'eau produit :
- un effet mécanique : le débit des matériels utilisés (lances, lances-canons, RIA, extincteurs...) et la pression d'alimentation favorisent la pénétration du foyer et la dispersion de ses constituants ; - un effet de refroidissement : la température des constituants est abaissée au-dessous de leur température d'inflammation, la distillation des gaz et vapeurs inflammables est bloquée ; - un effet d'étouffement : il est provoqué par le brusque enrichissement de l'ambiance en vapeur d'eau, qui rend l'air momentanément incomburant, surtout en espace clos.
Le deuxième effet (refroidissement) est le plus important. Il s'effectue en deux stades :
- d'abord, l'eau projetée sur le feu s'échauffe jusqu'à sa température d'ébullition (100 °C). Pour l'atteindre, elle soustrait des calories du foyer et l'effet de refroidissement commence ; - ensuite, l'eau portée à 100 °C se transforme en vapeur en absorbant une grande quantité de chaleur fournie par le foyer, appelée « chaleur latente de vaporisation ».
Dans la réalité, le fait de projeter l'eau à grande distance provoque une importante dispersion qui réduit la capacité réelle d'absorption calorifique de l'eau à environ 30 % de sa valeur théorique.
Pour pallier ce défaut, on utilise quand c'est possible des appareils munis de diffuseurs qui divisent l'eau en fines gouttelettes au moment de sa projection. Mais les diffuseurs réduisent la portée utile des lances et peuvent provoquer des brûlures par la vaporisation instantanée de l'eau.
Quand on peut l'utiliser sans risques, le rendement d'absorption calorifique passe de 30 % à 80 %, ce qui permet d'augmenter considérablement la surface d'échange de l'eau avec le combustible, donc son action de refroidissement, et aussi de bloquer plus vite la formation de gaz de distillation, tout en réduisant la quantité d'eau nécessaire à l'extinction.
À L'ÉTAT DE VAPEUR
L'eau s'utilise, à titre préventif, sous forme de vapeur, dans le cas où on désire inerter des caniveaux couverts, fosses ou locaux à risques.
Grâce à ce moyen, on arrive à abaisser la teneur en oxygène d'une ambiance au-dessous de 12 % (exemple : établissements utilisant ou produisant du dioxyde de carbone ou de l'azote). La production de vapeur d'eau provoque en effet le déplacement de l'air comburant, voire son élimination.
On utilise ce moyen préventif (« vapeur sèche ») à bord de certains cargos, mais pas à bord des pétroliers à cause des risques de formation de charges électrostatiques.
L'EAU SUR LES FEUX DE MATÉRIAUX SOLIDES
Pour ce type de feux, concernant généralement des matériaux d'origine organique dont la combustion produit normalement des braises, l'eau est parfaitement adaptée, qu'il s'agisse de feux de surface ou de feux profonds.
Des additifs « mouillants » améliorent encore son pouvoir extincteur, en facilitant son étalement sur le combustible. Des additifs « retardant » sont utilisés pour les feux de forêt, pour créer une barrière chimique s'opposant à leur progression.
D'autres additifs sont également utilisés : anti-gel, anti-corrosion, « épaississants » (pour accroître sa viscosité en sortie des lances et donc augmenter leur portée), etc.
L'EAU SUR LES FEUX DE LIQUIDES OU DE SOLIDES LIQUÉFIABLES
Pour ce type de feux, l'eau est aussi le meilleur agent extincteur lorsque sa température est inférieure au point d'éclair des liquides chimiques concernés. Dans ce cas, l'émission de vapeurs inflammables est stoppée.
Toutefois, elle ne peut pas être utilisée lorsque :
- la densité du liquide concerné est inférieure à celle de l'eau (risque de transport de feu sans extinction) ; - le point d'ébullition des liquides concernés est supérieur à celui de l'eau. Un « flash » se produit alors par la projection de gouttelettes de liquide enflammé sous l'effet de la brusque libération de la vapeur d'eau (exemple : feux d'huile ou de polyéthylène fondu) ; - le point d'éclair des liquides concernés est inférieur à la température de l'eau (le refroidissement de surface devient alors impossible). L'emploi de l'eau est même carrément prohibé pour des liquides à point d'éclair inférieur à 40° C.
Dans ce cas-là, on utilisera de l'eau avec des additifs « moussants ».
Extinction par émulsion : cas particulier des fuels lourds
On projette de l'eau pulvérisée sur certains liquides inflammables visqueux dont le point d'éclair dépasse 100 °C. Il y a alors apparition d'une émulsion par mélange des fines gouttelettes d'eau et des particules non miscibles, qui forme une écume caractéristique retardant l'émission des vapeurs inflammables. La projection d'eau pulvérisée doit s'effectuer alors sous une pression minimale de 45 bar. On ne peut pas utiliser un jet bâton (formation d'écume trop importante) ni une pulvérisation trop fine de l'eau (pas de formation d'écume).
Par ailleurs, on veillera à n'utiliser cette technique que sur des réservoirs incomplètement remplis, pour éviter tout débordement.
Extinction par dilution : cas particulier des alcools
Le taux de dilution nécessaire à l'extinction, donc la quantité d'eau, varie avec la nature des produits concernés. Par exemple, cette technique est la meilleure en cas de feux de flaques d'éthanol ou de méthanol. S'il s'agit au contraire, pour ces produits, d'un feu de réservoir, on refroidira l'extérieur de celui-ci avec de l'eau mais on utilisera un autre agent pour éteindre le feu lui-même.
RESTRICTIONS D'EMPLOI DE L'EAU
Il existe des cas où l'usage de l'eau doit être proscrit.
Par exemple, lorsque la densité du combustible liquide est inférieure à la sienne, ce qui est le cas pour la plupart des liquides inflammables. Dans ce cas, en effet, l'eau entraîne avec elle du combustible enflammé et contribue à étendre l'incendie.
Il faut également éviter de projeter de l'eau sur une nappe de gaz liquéfié, s'il y a risque d'inflammation ou risque toxicologique. Aussi froide soit-elle, sa température est en effet nettement plus élevée que le point d'ébullition du gaz liquéfié (voir tableau ci-dessous). L'apport de calories qui en résulterait intensifierait la vaporisation de ce gaz et donc l'émission de gaz inflammables ou toxiques.
Nature du gaz
Température d'ébullition à 1 atm
Ammoniac
NH3
- 33 °C
Méthane
CH4
- 160 °C
Ethane
C2H6
- 88 °C
Propane
C3H8
- 42 °C
Butane
C4H10
0
Ethylène
C2H4
- 103 °C
Hydrogène
H2
- 250 °C
On n'utilisera l'eau, sous forme pulvérisée, que pour abattre des vapeurs d'essence ou en présence d'une fuite d'ammoniac liquéfié.
Autre restriction importante : à l'état naturel, l'eau contient des impuretés qui la rendent conductrice de l'électricité. On a estimé que la conductibilité de l'eau contenant des sels minéraux était quatre fois plus grande que celle d'une eau pure de source, et celle de l'eau de mer 200 fois plus grande. Il faut tenir compte de ce danger en cas d'intervention sur des feux provoqués par des équipements électriques sous tension, ou se situant à proximité.
Son emploi sous forme de jet bâton ou de jet diffusé doit donc être interdit dans ce cas, quelle que soit la tension utilisée, afin de protéger les personnels d'intervention. Toutefois l'emploi d'eau pulvérisée est possible dans certains cas sur une tension inférieure à 1 000 V.
L'interdiction d'emploi de l'eau s'applique aussi à certains feux de produits chimiques présentant un risque de réaction exothermique (ex : feux de métaux) ou de produits chimiques incompatibles figurant au tableau ci-dessous, ou encore lorsque des produits comburants ou combustibles sont libérés.
Les produits réagissant avec l'eau
Acide chlorosulfonique
Hydrure de sodium
Acide sulfurique
Oxychlorure de phosphore
Aluminium alcoyls
Oxyde de calcium
Aluminohydrure de lithium
Tétrachlorure de silicium
Amidure de sodium
Tétrachlorure de titane
Anhydride phosphorique
Tétroxyde de phosphore
Carbure de calcium
Trichlorure de phosphore
Chlorure d'acétyle
Trifluorure de bore
Chlorure de butylmagnésium
Triisobutylaluminium
Chlorure de diisobutylaluminium
Trioxyde de phosphore
Enfin, dans la mesure du possible, l'utilisation de l'eau est déconseillée pour éviter la détérioration d'objets précieux, de matériels délicats, d'archives ou d'uvres d'art.
LES ADDITIFS
Les additifs « mouillants »
L'eau est mauvaise conductrice de la chaleur, et dans les cas de feu de combustible solide, seules ses molécules en contact avec le combustible participent aux échanges thermiques. Il n'est donc pas nécessaire de recouvrir le combustible d'une épaisse couche d'eau, mais d'un film uniformément réparti. D'autre part, la pénétration de l'eau dans des combustibles hydrophobes est lente ou nulle, ce qui constitue un inconvénient sérieux en cas de feu profond.
Les additifs dits « mouillants » répondent donc au double objectif d'améliorer les échanges thermiques eau-combustible solide d'une part, et la pénétration de l'eau d'autre part.
Il s'agit de produits chimiques tensio-actifs, cationiques ou anioniques, dont le rôle est d'abaisser la tension superficielle de l'eau qui empêche les gouttelettes de s'étaler sur la surface du combustible, et d'augmenter finalement la surface d'échange thermique, en faisant varier l'angle « thèta » comme le schéma suivant le démontre :
En fonction des mouillants utilisés, la concentration varie entre 1 et 3 %. L'emploi de ces additifs permet aussi de combattre plus efficacement les feux de matières plastiques et d'hydrocarbures lourds.
On signalera le principal inconvénient de ces agents « mouillants » : même incorporés sur place, ils accélèrent la corrosion des réservoirs et des extincteurs, qui devront donc être spécialement traités pour y faire face.
Les additifs « moussants »
Il s'agit également d'agents tensio-actifs, dont la concentration est comprise entre 3 et 6 %, et dont l'incorporation à l'eau s'accompagne d'une injection d'air, afin de former une mousse dite « mousse physique » dont les caractéristiques sont présentées dans la fiche suivante.
Les additifs « retardants »
Ils sont utilisés pour combattre les incendies de forêts.
On en distingue trois catégories : à court terme, à moyen terme et à long terme.
- Les retardants à court terme sont aussi appelés « retardants physiques ». Leur rôle est d'améliorer la viscosité de l'eau (réduction de la dispersion en sortie de lance, temps de contact avec le végétal augmenté par diminution du ruissellement, évaporation ralentie). Ils n'ont pas de propriétés ignifugeantes.
Ce sont : soit des épaississants d'origine minérale (attapulgites ou bentonites) très efficaces, peu onéreux et parfaitement inoffensifs pour l'homme, la faune et la flore, soit - de plus en plus - des épaississants organiques, plus rapides à mettre en uvre et moins abrasifs.
- Les retardants à moyen et long termes sont aussi appelés « retardants chimiques ». Produits à base de phosphates d'ammonium, ils contiennent aussi des épaississants, des inhibiteurs de corrosion, des stabilisants et éventuellement des colorants. Ils ont un pouvoir ignifugeant qui leur permet, au contact de la chaleur, d'attaquer la cellulose et les composés organiques de la cellule végétale, empêchant ainsi le dégagement des composés gazeux très inflammables (aromatiques, alcools, méthane...) qui se produit en cas d'exposition à la chaleur rayonnante des flammes.
Ce blocage est le fruit d'une réaction endothermique qui absorbe une grande quantité de chaleur, privant ainsi d'énergie calorifique la réaction en chaîne aboutissant à ce dégagement.
Notons que l'eau, dans ce cas, n'intervient que comme vecteur de transport de l'agent retardant, et pratiquement pas comme agent d'extinction. Après son évaporation, les cristaux de phosphate d'ammonium déposés sur la végétation demeurent et continuent à la protéger. Ils ne sont pas considérés comme phytotoxiques, leurs effets secondaires sur la végétation étant ceux des fertilisants.
Ces produits sont utilisés essentiellement en lutte indirecte, comme coupe-feu chimiques en avant du front de l'incendie, pour empêcher celui-ci d'endommager des zones d'habitation ou d'industries.
Leur efficacité s'étend de quelques jours à plusieurs semaines.
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