![]() |
2.2.7. LES SOLVANTS | ![]() |
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES
L'eau est le solvant le plus universel. Cependant beaucoup de substances ne sont pas solubles dans l'eau. Lorsque ces substances insolubles dans l'eau sont minérales, elles ne sont en général solubles qu'à température élevée, dans d'autres composés minéraux. En voici deux exemples de grande importance industrielle :
- dans la préparation de l'aluminium, on dissout l'alumine (extraite de la bauxite) dans un mélange fondu de fluorures d'aluminium et de sodium (la cryolithe), - dans la préparation des émaux, on dissout de nombreux oxydes métalliques de couleur vive dans du borate de soude (le borax) qui fond à température moyenne (300 °C) et peut être déposé sur le verre sans faire fondre celui-ci.
Pour dissoudre les substances organiques insolubles dans l'eau, on a donc recours à des solvants. Ceux-ci sont extrêmement nombreux et se répartissent en de multiples catégories suivant la propriété que l'on prend en considération :
- point d'ébullition : on parle de solvants légers, bouillant à moins de 90 °C, moyens et lourds, lorsque ces derniers ont une température d'ébullition qui dépasse 120 °C, - inflammabilité, - toxicité, - pouvoir solvant vis-à-vis des graisses, des résines naturelles ou artificielles, etc., - nature chimique.
C'est ce dernier critère qui sera utilisé ici pour décrire trois sous-ensembles très importants, très différenciés et qui groupent l'essentiel des produits d'emploi industriel général.
On abordera successivement ici :
- les caractéristiques générales des solvants, - les solvants hydrocarbonés ou hydrocarbures, - les solvants chlorés, - les solvants oxygénés.
LE CHOIX DES SOLVANTS
Parmi la multitude des molécules organiques insolubles dans l'eau, deux grandes catégories regroupent de nombreux produits et sont d'une grande importance pratique : les substances grasses et les polymères.
Solvants des substances grasses
Celles-ci sont soit d'origine minérale, ce sont les huiles et les graisses des pétroles essentiellement et encore quelques goudrons de houille, soit d'origine vivante, on parle alors d'huiles ou de graisses (suivant leur point de fusion) végétales ou animales. Leurs compositions chimiques sont différentes mais elles ont en commun d'être insolubles dans l'eau, bien sûr, mais également d'être hydrophobes (les métaux purs sont eux aussi insolubles dans l'eau, mais leur surface est hydrophile : l'eau s'y étale librement).
Les meilleurs solvants des substances grasses sont :
- les solvants chlorés, - les hydrocarbures aromatiques, - les cétones.
Les hydrocarbures paraffiniques, les alcools sont moins efficaces de ce point de vue.
Inconvénients des solvants de substances grasses
Action sur la peau : cette propriété générale de dissolution des substances grasses est à prendre en compte dans la manipulation de ces solvants : le contact cutané répété, indolore, conduit à la dissolution et à l'enlèvement du revêtement lipo-protéique de la peau. Les conséquences de ce fait sont nombreuses et si elles ne sont pas toujours graves, elles ne doivent pas être négligées pour autant. On peut distinguer trois effets : dermatoses d'origine allergique, desquamations, crevasses susceptibles de s'infecter.
Les crèmes de protection sont insuffisantes, le port de gants (PE ou PVC) est préférable. Les sensibilités personnelles sont cependant très variables vis-à-vis de cet effet.
Il faut également signaler deux autres effets qui, bien que non nécessairement liés à la présence de matières grasses sont souvent liés.
- Toxicité propre :
L'absorption percutanée est importante pour de très nombreuses substances. Les solvants ne font pas exception à cette règle. C'est une des voies, avec naturellement l'inhalation pour les plus légers d'entre eux, d'entrée dans l'organisme avec pour conséquence les risques découlant de la toxicité propre à certains d'entre eux (benzène, trichloréthylène, dioxane, etc.).
- Vecteur de toxiques :
Pour disperser convenablement une matière active (médicament, pesticide, peinture, colle, cosmétique) on utilise les solvants. Si pour les médicaments et les cosmétiques, les substances actives sont en principe sans danger, il n'en va pas de même pour de nombreux produits d'usage industriel ou ménager, la forme diluée dans un solvant absorbable par la peau (ou dispersée sous forme d'aérosol) étant considérée comme plus dangereuse que la matière active elle-même, solide, en masse.
Solvants des polymères
Ces molécules sont omniprésentes dans notre environnement. Elles sont non seulement artificielles (les matières plastiques, les caoutchoucs, les fibres synthétiques, les résines pour peintures, colles, papier, etc.) mais également naturelles : gomme-laque, arabique, adragante, etc., amidon, cellulose, lignine, protéines (muscles, osséine, cheveux, ongles, etc.). Leur grandes dimensions les rendent en général insolubles dans l'eau (sauf de rares exceptions pour les produits artificiels : alcool polyvinylique, acides polyacryliques, polyacrylamides et à l'exception très importante évidemment des produits naturels de caractère hydrophile et de masse moléculaire peu élevée (amidon, protéines). Si les trois grands thermoplastiques : PVC, PE, PP, sont insolubles dans les solvants usuels en raison de leur très haut degré de polymérisation, en revanche, beaucoup de polystyrènes, de polyamides sont solubles dans les solvants aromatiques ou cétoniques. De même, les nombreuses résines utilisées dans les encres, peintures, vernis, colles ont des degrés de polymérisation suffisamment bas pour être solubles dans certains solvants.
En règle générale, ce sont les hydrocarbures aromatiques et certains solvants oxygénés : cétones, éthers, esters qui sont les plus efficaces. Pour des cas particuliers (PVC, fibres textiles), certains solvants spéciaux : acétonitrile, diméthylsulfoxyde, peuvent être utilisés. On n'examinera ci-après que les grands solvants usuels d'intérêt général.
LES HYDROCARBURES
On en distingue deux catégories :
- les hydrocarbures paraffiniques (ainsi appelés parce qu'ils ont peu d'affinité pour réagir avec d'autres substances), encore appelés alcanes : on y trouve le méthane (gaz naturel), le propane et le butane (gaz liquéfiés sous pression à température ordinaire), les essences qui sont en gros du pentane ou dodécane et, au-delà, des cires paraffiniques solides, - les hydrocarbures benzéniques, souvent appelés aromatiques bien qu'ils ne soient pas nécessairement présents dans les arômes, les trois principaux sont : le benzène, le toluène, le xylène (on dit parfois les BTX), on rencontre également des composés plus lourds (éthylbenzène, méthylnaphtalène, etc.).
Tous ces produits ont en commun d'être très inflammables, plus légers que l'eau (densité 0,75 à 0,90) et très bon marché, mais leurs propriétés solvantes sont médiocres et limitées pour les alcanes, meilleures et plus larges pour les aromatiques.
Leur toxicité est très variable : faible pour le pentane, le cyclohexane, l'heptane, très élevée pour le benzène qui est maintenant reconnu comme cancérogène (leucémies rares). L'exposition chronique au benzène attaque la moelle osseuse provoquant des anémies graves. Sa teneur est réglementée dans les produits industriels et son seul emploi important reste aujourd'hui réservé à l'industrie chimique.
Dans les emplois en tant que solvants, on trouve presque toujours les hydrocarbures sous forme de mélanges (sauf pour le cyclohexane). Ils portent divers noms :
- essences suivies d'une lettre : A, E, F, G, etc., - éther de pétrole (qui n'a rien à voir avec l'éther ordinaire, solvant oxygéné, si ce n'est d'être, comme lui, très volatil), - white spirit, - solvant naphta (traduction française du solvent naphtha anglais), - kérosène, etc.
On trouvera leur composition et leurs propriétés aux fiches produits correspondantes.
Un seul hydrocarbure naturel a eu une importance industrielle en tant que solvant : il s'agit du pinène, constituant principal de l'essence de térébenthine. Le large éventail des solvants aujourd'hui disponibles en a progressivement restreint les emplois.
En cas d'incendie
En cas d'incendie, le comportement des hydrocarbures est spécifique et bien connu. Les dangers sont multiples :
- les récipients contenant des hydrocarbures liquéfiés peuvent exploser par augmentation de leur pression interne avec la chaleur, - les gaz forment avec l'air des mélanges explosibles avec tout point d'ignition, - leur combustion donne lieu à l'émission d'abondantes fumées noires (surtout dans le cas des aromatiques), - ils ont le pouvoir calorifique le plus élevé (à volume égal, la combustion de l'essence dégage deux fois plus de chaleur que celle du méthanol), - plus légers que l'eau, ils restent à la surface de celle-ci, ce qui peut être un vecteur de propagation du feu.
Les mousses sont le meilleur moyen de combattre un feu important d'hydrocarbures. Contrairement à un grand nombre d'autres substances, les produits de la combustion des hydrocarbures ne sont ni toxiques, ni corrosifs (mis à part naturellement les fumées noires et de petites quantités de CO résultant d'une combustion avec défaut d'oxygène).
LES SOLVANTS CHLORÉS
Leur emploi très général d'explique par leurs excellentes propriétés solvantes des huiles et graisses, par leur prix peu élevé et surtout par leur ininflammabilité. On rencontre principalement :
- le chlorure de méthyle, - le chlorure de méthylène, - le chloroforme, - le tétrachlorure de carbone, - le trichloréthylène, - le perchloréthylène, - le trichloréthane 111.
Ce sont tous des slovants légers, volatils, dont les vapeurs sont beaucoup plus lourdes que l'air. Seul le trichloréthane 111 est dépourvu de toxicité (c'est un substitut du trichloréthylène). Le chlorure de méthylène est peu toxique. Tous les autres solvants chlorés ont une toxicité plus élevée, tant aiguë que chronique. l'absorption cutanée est rapide et l'apparition de dermatoses fréquente ? Les trois derniers cités sont d'emploi général pour le dégraissage qu'il s'agisse des vêtements (nettoyage « à sec ») ou des pièces métalliques dans l'industrie (perchloroéthylène pour les métaux légers). Les deux premiers sont surtout des agents d'extraction et de mise en solution de diverses substances naturelles. Le tétrachlorure de carbone n'est guère utilisé aujourd'hui, en dehors de la chimie, en raison de sa toxicité importante.
En cas d'incendie
En cas d'incendie, les solvants chlorés, bien qu'ininflammables, sont dangereux pour deux raisons :
- leur pyrolyse peut donner naissance à de petites quantités de phosgène, hautement toxique (mais heureusement rapidement dégradé dans l'atmosphère), - leur destruction s'accompagne du dégagement de quantités importantes d'acides chlorhydrique, irritant et corrosif.
LES SOLVANTS OXYGÉNÉS
Ce sont les plus nombreux et la gamme de leurs propriétés, extrêmement étendue, leur donne des applications dans des domaines très divers.
En fonction de leur nature chimique, on peut les répartir en cinq grandes classes :
- 1. Les alcools :
- méthanol, - éthanol (« d'alcool »), - isopropanol, - butanol, - glycol (éthylène glycol), - propylène glycol, - glycérine.- 2. Les cétones :
- acétone - MEK (métyl-éthyl-cétone), - MIK (métyl-isobutyl-cétone), - Isophorone, - cyclohexanone.- 3. Les esters : acétates de
- méthyle, - éthyle, - isopropyle, - butyle, - octyle.- 4. Les alcools-éthers :
- éthoxy-propanol, - diéthylène glycol, - méthyl cellosolve, - butyl carbitol, - ether butylique du diéthylène glycol.- 5. Les éthers :
- diéthyléther (« l'éther »), - diisopropyléther, - MTBE, - dioxane, - tétrahydrofuran.On doit signaler également :
- un alcool-cétone : diacétone-alcool - deux esters-éthers : acétate de méthylcellosolve, acétate de butyl-cellosolve
Le méthanol est un peu l'intermédiaire entre l'eau et les solvants organiques puisqu'il a la propriété remarquable (et unique) d'être un bon solvant de nombreux sels minéraux :
eau
méthanol
éthanol
HO-H
HO-CH3
HO-C2 H5
Si l'eau et l'alcool sont inoffensifs, le méthanol, en revanche, est toxique. Si les solvants chlorés et les hydrocarbures ont de bonne propriétés solvantes des graisses, ils ne sont cependant pas toujours adaptés à la mise en solution des résines, macromolécules d'origine naturelle ou artificielle aux caractéristiques très diverses.
Le vaste domaine des peintures, vernis, encres, colles et revêtements est celui qui, de loin, met en uvre le plus grand nombre de polymères différents. C'est ici que les solvants oxygénés trouvent leur principaux emplois, leur diversité permettant de répondre aux problèmes de solubilité, de compatibilité, de viscosité, de vitesse de séchage, d'odeur et, bien sûr, de coût.
Le développement rapide des formulations aqueuses donne aujourd'hui beaucoup d'importance à la classe des alcools-éthers qui sont à la fois bons solvants de nombreuses résines et miscibles à l'eau. D'une manière générale, les solvants oxygénés n'ont qu'une toxicité faible ou modérée. Seul le dioxane est soupçonné d'être cancérogène chez l'homme. Leur innocuité et la gamme très étendue de leurs propriétés justifient leur emploi qui n'est limité que par le prix en général plus élevé que celui des autres solvants, sauf le méthanol grand intermédiaire de la chimie, dont le prix est très bas, mais dont les propriétés solvantes sont limitées.
En cas d'incendie
Dans un incendie, les solvants oxygénés sont tous combustibles mais leur comportement va beaucoup dépendre de leurs caractéristiques :
- s'ils sont insolubles dans l'eau, et moins denses qu'elle, ils poseront le même problème que les hydrocarbures, l'aspersion massive d'eau provoquera la dispersion du sinistre si la quantité de solvant est importante, - les alcools sont utilisés industriellement pour leurs propriétés anti-mousses, lorsque on utilise des émulseurs pour combattre un incendie où sont impliqués des solvants oxygénés, il faut utiliser des formulations spéciales, résistant à la destruction par ces solvants, - si les produits sont solubles dans l'eau on peut tenter de diluer large ment une fuite enflammée, pour obtenir son extinction ou une fuite non enflammée pour prévenir son ignition, dans ce dernier cas, le produit ne sera pas récupérable et le volume de résidus à traiter important.
Cette dernière solution ne sera efficace que dans le cas des solvants lourds, le point éclair du mélange devenant très élevé. En revanche, les solvants légers (méthanol, acétone) seront facilement chassés de leur solution si celle-ci est portée à une température élevée (l'acétone bout à 56 °C et forme des mélanges facilement explosibles avec l'air dès que sa concentration en volume dépasse 2 %).
En général, les solvants oxygénés ne donnent pas lieu à la production de composés toxiques ou corrosifs (à part l'acide acétique pouvant provenir de l'hydrolyse des acétates). L'oxyde de carbone peut aussi être présent, mais ce n'est pas spécifique de ces produits.
Mélanges de solvants
Dans de nombreuses formulations, peintures en particulier, on se trouve presque toujours en présence de mélanges de solvants : essentiellement oxygénés (les vrais solvants) et hydrocarbures (co-solvants ou diluants) qui conjuguent leurs avantages dans les préparations et leurs inconvénients en cas d'accident.
Beaucoup de pesticides sont appliqués par pulvérisation fine d'émulsions aqueuses. Celles-ci sont préparées à partir de solutions émulsifiables fournies par le fabricant de la matière active. Ces liquides sont des solutions concentrées de la matière active (jusqu'à 50 %) en général dans le kérosène, additionné de quelques pourcents d'un tensioactif non moussant. Dans ce cas, l'utilisation de grandes quantités d'eau pour combattre l'incendie n'est pas contre-indiquée.
![]() |
![]() |
![]() |